lundi 26 septembre 2011

L’insoutenable générosité du blogueur

Le blog, accessible à tous et garant de l'indépendance des opinions,  apparaît comme l'espace par excellence d'une prise de parole démocratique et libérée de tous carcans. Pourtant, la rivalution du web, loin d'abolir les tyrannies et les dominations, n'a fait que les déplacer dans des mains nouvelles.
Les touches d'un clavier protègent-elles vraiment le blogueur d'une dérive tyrannique ?
Les touches d'un clavier protègent-elles vraiment le blogueur d'une dérive tyrannique ?
Le blogueur
Le blogueur est la générosité faite plume. Imaginons-le simplement agenouillé derrière son autel alphanumérique, à composer dans la plus humble dévotion des cantiques à l’intention des invisibles fidèles de sa paroisse numérique chaque jour plus nombreuse… à déverser allègrement son désintéressement à la face du monde sous la forme d’un quasi-almanach attendu par ces brebis comme la délivrance du Messie face à leur insoutenable ignorance. A peine peut-on le soupçonner de rechercher au travers de ces prêches gratuits une modeste notoriété somme toute amplement méritée – mais comment lui reprocherait-on de s’arroger la reconnaissance et l’admiration de lecteurs qu’après-tout il ne force en rien à le lire ?
Le blogueur est honnête, démocrate, il est capable de rendre la parole où il l’a prise, d’écouter, de s’enrichir et d’évoluer grâce à autrui. Grâce au Miracle chaque jour renouvelé de l’Internet, il a trouvé sa place sans usurper celle d’un autre en tête de gondole d’un kiosque ou d’une librairie. Rien à voir avec ces insupportables oligarques de la plume – écrivains, journalistes et autres ayatollahs de l’Ancien Régime médiatico-éditorial – qui continuent d’imposer verticalement leurs vues au troupeau non-consentant en bâtissant insolemment leurs tours de cristal au milieu de la prairie pour mieux le contrôler. Le blogueur est bien loin de ces dictateurs qui n’ont même pas la courtoisie de demander conseil à leurs lecteurs – asservis et contraints – pour choisir le thème de leur prochaine rédaction écrite… même pas les couilles d’ « engager le débat » sur leur œuvre en ouvrant d’un clic majestueux le bal des commentaires – comment le pourraient-ils ? bien souvent, ces arriérés en sont encore restés à l’archaïque impression papier, dont l’interactivité est malheureusement encore soumise aux méandres du chemin postal et de la censure éditoriale… même pas l’audace de s’affranchir en toute liberté des carcans de la ponctuation, de la syntaxe, et parfois même – j’en frémis à sa simple évocation – de l’orthographe et de la conjugaison.
Wikipédisation de la pensée
Comment donc ne pas célébrer le vent nouveau de liberté apporté par cette « génération 1789 » de la plume aux grimoires poussiéreux de la démotscratie ? Comment ne pas lever notre chapeau à ces chantres de l’« éclectisme » capables de nous parler à vingt-quatre heures d’intervalle de la recette de la tarte aux poires et de la corruption des élites dirigeantes… de la meilleure manière de gérer sa rupture et du dernier Woody Allen ? Serait-il bien prudent de bouder l’immense démocratisation de la prise de parole induite par l’émergence des nouveaux outils, et par là-même le couronnement de l’expertise toutologique de tout un chacun ? Que risquerait celui qui s’aviserait d’émettre des réserves à l’endroit de l’irrésistible « wikipédisation » de la pensée – par la grâce de laquelle chacun est tenu pour légitime de chroniquer à tout-va au nom du partage des connaissances (quand bien même fragmentaires) et de la démocratie ultime du vote avec le clic ?
Serait-il encore possible mettre en doute la générosité du Projet Blogologique, bien souvent synthétisé avec enthousiasme et laconisme par le « j’aime, donc je partage » universel, qu’il s’agisse d’une vidéo déjà vue cent fois, d’une impression sur une chanson, de l’éloge d’une personnalité médiatique, d’une idée sur le monde, d’une expertise politique, d’une critique péremptoire ou d’une réflexion sur la vie ? Peut-on encore raisonnablement nager à contre-courant de cette jouissance généralisée de la multitude, de l’égalitarisme absolu et de l’indifférencié ?
Diktat des goûts et des opinions
Qui oserait aujourd’hui s’exposer à l’opprobre généralisée en soutenant qu’au contraire, la révolution du blog – et plus généralement du web 2.0 « participatif » – n’est qu’une vaste supercherie, un transfert de pouvoir camouflé, une rivalution de palais guidée par l’égoïsme de nouveaux oligarques enivrés par leur propre influence qui imposent sans en avoir l’air à autrui le diktat de leurs goûts et de leurs opinions grâce au trompe-l’œil du libre-choix ? Sous le simple prétexte de la liberté de zapping des lecteurs, ces nouveaux rois n’agiraient-ils pas de la même façon que leurs honnis aînés totalitaires en pensant que tout ce qui leur passe par la tête mérite de prendre le chemin de leur plume et de susciter l’intérêt d’un cercle plus large que leur simple entourage ? La seule différence entre ces deux ères entremêlées ne résiderait-elle pas seulement dans le plus grand nombre d’oppresseurs face à la même masse dominée ?
Bien imprudent celui qui prendrait à son compte cette charge violente : la désormais toute-puissante confrérie twitto-blogonique pourrait bien y trouver sa nouvelle – et bien entendu éphémère – tête de turc et – suprême punition ! – refuser de partager ses contenus, quelle qu’en soit par ailleurs la teneur et la qualité. Heureusement, cet insolent-là, tel que je le connais, bien loin d’un arrêt de mort, verrait au contraire dans cette kabbale une réjouissante consolation : la vérification de son hypothèse.

Sautez la rentrée !

Véritable calvaire pour les uns, bonheur pour les autres, la rentrée écrase de tout son poids la fin de vos vacances d'été. Comment échapper à ce rapport non consenti en évitant la faute morale?
Notre maîtresse tyrannique à tous
Notre maîtresse tyrannique à tous.
La rentrée
Elle s’enfonce dans son lit sans prévenir, la grosse cochonne, tout contre lui, le malheureux vacancier. Il a beau plaquer son dos au matelas, il la sent partout qui explore son intimité moite, qui s’agite en transpirant ce qu’elle peut de présages d’un gris laiteux. Elle en bave des seaux la grosse cochonne, elle en noie son sommeil. Le jour de la rentrée n’est pas encore là qu’elle a déjà tout pénétré…
Violée Morphée, stérilisé le rêve ? Ce serait bien trop cruel, trop peu épanouissant pour les deux partenaires. Il suffit de s’approcher d’un rien pour découvrir que dans ces préliminaires dégoutants au premier abord, le plus gourmand n’est pas celui qu’on pensait. Si la rentrée s’est retrouvée vautrée là, c’est parce que le vacancier l’a désirée. Toute sa fin de vacances il l’a aguichée, balançant frénétiquement sa monnaie dans ces bordels à frusques arpentés sans relâche dans l’espoir secret d’être le mieux mis pour le jour du rendez-vous. Comme s’il fallait faire peau neuve pour la cueillir, muer pour pouvoir repartir de zéro avec elle. Trop contente de récupérer ses amants volages (toujours partis avec le premier juillet qui se présente), la rentrée les absout de leurs pêchés ; et eux se dépêchent de recoudre leur hymen, en espérant qu’il rompe sans trop éclabousser l’opinion des camarades. Le voilà le trésor qu’elle garde contre son sein : une occasion de se refaire auprès des collègues. On a retenu la leçon du centimètre de string de trop, ce coup-ci, la première impression sera la bonne. On comprend mieux pourquoi les corps s’inquiètent dans les affres de l’oreiller : ils ont simplement hâte de la monter, la grosse cochonne, pour qu’elle accouche enfin de leur nouvelle identité.
Mais ce n’est pas tout. Elle annonce aussi le grand retour des amis du vacancier. Ses bons amis qui lui ont tant manqué ! Comment a-t-il pu les assassiner ainsi sur l’autoroute de ses libertés estivales ? Cet égoïsme est tellement énorme que la rentrée ne peut s’empêcher de réagir, et hurle leurs noms et leur souvenir à ses oreilles. Elle appelle à l’orgie de chair pour satisfaire des appétits qu’une unique présence ne permet pas de combler. A elle la déferlante de visages un peu ternis par le temps qu’elle enserre entre ses cuisses pour en ressusciter la couleur. C’est le moment que tous préfèrent, le sommet où explose enfin l’abstinence aux monotonies quotidiennes. Les mains se tendent et les baisers déferlent sur le monde pour en saluer la renaissance : « Salut… », « Salut », « Salut ! ». La rentrée sécrète le placenta de la retrouvaille, comme une colle plus ou moins fiable où les inséparables à nouveau réunis se prélassent, dans un grand rire. Car il faut rire le jour de la rentrée. Elle a beau secouer un millier d’emplois du temps surchargés, tel un épouvantail menaçant, la cochonne conserve ses charmes. « Maxime ! Alors ? Alors ? Ça va ?! Et ces vacances ? Bien ? ». C’est reparti, les vannes de la banalité sont ouvertes. Cascade de clichés ensoleillés, enfer sucré vite collant des accolades en tous genres… Et que je te suce ton gros souvenir de passions folles saupoudrées de tongs et de queue leu leu. La rentrée jouit de sa propre présence. « Oh moi, ca ne m’intéresse pas… J’en ai profité pour me retrouver, lire ma pléiade, tu vois quoi… ». A croire que rien n’existe qu’il faille tout étaler aux yeux du monde, que le travailleur n’est qu’un touriste en sursis, une vie suspendue tout le temps qu’elle ne se sera pas racontée sur le mode du parasol dans le cocktail.
La rentrée… Elle a surgit si vite des bas-fonds croupissant de l’avenir que les vacanciers n’ont pas pu remarquer ses vêtements de cuir et ses triques interminables, dures comme l’enfer. Ils sont rentrés dans ses mécanismes pervers sans sourciller, et maintenant ils se tartinent de paradoxe comme de crème solaire : sans jamais rougir. Ne serait-ce pas moins dur de renfiler le quotidien sans le juxtaposer aux délicieux souvenirs des vacances ? De se satisfaire d’être à nouveau ensemble plutôt que de se flageller à coup de passé sur ce qui n’est plus et ne sera plus avant une éternité ? D’un autre côté, ce n’est pas en vomissant la rentrée qu’on s'habituera à son mauvais goût. Alors quoi ? Sadomasochistes envers et contre tous ? On sent déjà s’élever des tréfonds de la conscience l’odeur fétide des extrémismes benêts : il ne faut plus partir en vacances, ou mieux, y rester, pour avorter de cette rentrée qui nous harcèle jusque dans les coins les plus oubliés de la planète. Ce n’est pas possible et pour des raisons bien palpables. Et puis, la rentrée n’est pas bonne ou mauvaise en elle-même, c’est plutôt ce passage forcé entre vacanciers des transats et ouvriers transits, cette séparation nette et bien entretenue entre une période sur-fantasmée et une réalité quotidienne dénuée de tout exotisme qui est difficilement tolérable (que ce soit par la trop grande exaltation ou le peu d’entrain qu’elle suscite).
Ce que le vacancier pourrait faire pour passer les menottes à sa maîtresse tyrannique, c’est la maquiller selon son goût. Ne plus se soumettre à elle en riant, mais la dominer un bon coup en se moquant de ses formes. Il faudra évidemment que le vacancier s’échauffe un peu avant de parvenir à ses fins, car cette thérapeutique aux angoisses n’est pas simple à mettre en scène. Peut-être pourrions-nous l’aider à tromper l’apparence austère de la rentrée avec une image infiniment plus cocasse ? Tenez, pourquoi pas celle d’une grosse cochonne rose reniflant les vestiges d’une couette encore humide des jeux d’un amour interdit ?