Le blog, accessible à tous et garant de l'indépendance des opinions, apparaît comme l'espace par excellence d'une prise de parole démocratique et libérée de tous carcans. Pourtant, la rivalution du web, loin d'abolir les tyrannies et les dominations, n'a fait que les déplacer dans des mains nouvelles.
Les touches d'un clavier protègent-elles vraiment le blogueur d'une dérive tyrannique ? |
Le blogueur
Le blogueur est la générosité faite plume. Imaginons-le simplement agenouillé derrière son autel alphanumérique, à composer dans la plus humble dévotion des cantiques à l’intention des invisibles fidèles de sa paroisse numérique chaque jour plus nombreuse… à déverser allègrement son désintéressement à la face du monde sous la forme d’un quasi-almanach attendu par ces brebis comme la délivrance du Messie face à leur insoutenable ignorance. A peine peut-on le soupçonner de rechercher au travers de ces prêches gratuits une modeste notoriété somme toute amplement méritée – mais comment lui reprocherait-on de s’arroger la reconnaissance et l’admiration de lecteurs qu’après-tout il ne force en rien à le lire ?Le blogueur est honnête, démocrate, il est capable de rendre la parole où il l’a prise, d’écouter, de s’enrichir et d’évoluer grâce à autrui. Grâce au Miracle chaque jour renouvelé de l’Internet, il a trouvé sa place sans usurper celle d’un autre en tête de gondole d’un kiosque ou d’une librairie. Rien à voir avec ces insupportables oligarques de la plume – écrivains, journalistes et autres ayatollahs de l’Ancien Régime médiatico-éditorial – qui continuent d’imposer verticalement leurs vues au troupeau non-consentant en bâtissant insolemment leurs tours de cristal au milieu de la prairie pour mieux le contrôler. Le blogueur est bien loin de ces dictateurs qui n’ont même pas la courtoisie de demander conseil à leurs lecteurs – asservis et contraints – pour choisir le thème de leur prochaine rédaction écrite… même pas les couilles d’ « engager le débat » sur leur œuvre en ouvrant d’un clic majestueux le bal des commentaires – comment le pourraient-ils ? bien souvent, ces arriérés en sont encore restés à l’archaïque impression papier, dont l’interactivité est malheureusement encore soumise aux méandres du chemin postal et de la censure éditoriale… même pas l’audace de s’affranchir en toute liberté des carcans de la ponctuation, de la syntaxe, et parfois même – j’en frémis à sa simple évocation – de l’orthographe et de la conjugaison.
Wikipédisation de la pensée
Comment donc ne pas célébrer le vent nouveau de liberté apporté par cette « génération 1789 » de la plume aux grimoires poussiéreux de la démotscratie ? Comment ne pas lever notre chapeau à ces chantres de l’« éclectisme » capables de nous parler à vingt-quatre heures d’intervalle de la recette de la tarte aux poires et de la corruption des élites dirigeantes… de la meilleure manière de gérer sa rupture et du dernier Woody Allen ? Serait-il bien prudent de bouder l’immense démocratisation de la prise de parole induite par l’émergence des nouveaux outils, et par là-même le couronnement de l’expertise toutologique de tout un chacun ? Que risquerait celui qui s’aviserait d’émettre des réserves à l’endroit de l’irrésistible « wikipédisation » de la pensée – par la grâce de laquelle chacun est tenu pour légitime de chroniquer à tout-va au nom du partage des connaissances (quand bien même fragmentaires) et de la démocratie ultime du vote avec le clic ?
Serait-il encore possible mettre en doute la générosité du Projet Blogologique, bien souvent synthétisé avec enthousiasme et laconisme par le « j’aime, donc je partage » universel, qu’il s’agisse d’une vidéo déjà vue cent fois, d’une impression sur une chanson, de l’éloge d’une personnalité médiatique, d’une idée sur le monde, d’une expertise politique, d’une critique péremptoire ou d’une réflexion sur la vie ? Peut-on encore raisonnablement nager à contre-courant de cette jouissance généralisée de la multitude, de l’égalitarisme absolu et de l’indifférencié ?
Diktat des goûts et des opinions
Qui oserait aujourd’hui s’exposer à l’opprobre généralisée en soutenant qu’au contraire, la révolution du blog – et plus généralement du web 2.0 « participatif » – n’est qu’une vaste supercherie, un transfert de pouvoir camouflé, une rivalution de palais guidée par l’égoïsme de nouveaux oligarques enivrés par leur propre influence qui imposent sans en avoir l’air à autrui le diktat de leurs goûts et de leurs opinions grâce au trompe-l’œil du libre-choix ? Sous le simple prétexte de la liberté de zapping des lecteurs, ces nouveaux rois n’agiraient-ils pas de la même façon que leurs honnis aînés totalitaires en pensant que tout ce qui leur passe par la tête mérite de prendre le chemin de leur plume et de susciter l’intérêt d’un cercle plus large que leur simple entourage ? La seule différence entre ces deux ères entremêlées ne résiderait-elle pas seulement dans le plus grand nombre d’oppresseurs face à la même masse dominée ?
Bien imprudent celui qui prendrait à son compte cette charge violente : la désormais toute-puissante confrérie twitto-blogonique pourrait bien y trouver sa nouvelle – et bien entendu éphémère – tête de turc et – suprême punition ! – refuser de partager ses contenus, quelle qu’en soit par ailleurs la teneur et la qualité. Heureusement, cet insolent-là, tel que je le connais, bien loin d’un arrêt de mort, verrait au contraire dans cette kabbale une réjouissante consolation : la vérification de son hypothèse.
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